Le vent s’attarde souvent sur les hauteurs de Cassel, caressant les toits de tuiles orangées, faisant frémir les feuilles des tilleuls de la Grand-Place. Ici, à 176 mètres d’altitude, la lumière a la rareté précieuse que Marguerite Yourcenar associait à la Flandre : on la savoure, on la guette, elle nimbe d’or pâle les pavés mouillés, les pignons flamands, les pierres séculaires.
Cassel, village préféré des Français en 2018, reste pourtant, sous ses airs paisibles, un territoire de secrets : galeries voûtées oubliées, ateliers d’artisans cachés derrière des portes discrètes, traditions transmises dans l’ombre des chapelles. Au fil d’une promenade, le visiteur découvre un art de vivre où la beauté des gestes anciens dialogue avec une créativité bien vivante. Suivre les traces des bâtisseurs et des créateurs, c’est s’offrir une plongée dans le Mont des Flandres, ce promontoire qui veille depuis l’Antiquité sur la plaine, carrefour de mondes, laboratoire de passions.
Mont Cassel, veilleur de pierre et d’histoires
Depuis l’époque romaine, Cassel domine la plaine, sentinelle naturelle aux confins de la Flandre et de l’Artois. Sa position stratégique, choisie pour contrôler les routes, a forgé son destin : point de passage, mais aussi de résistance. Les pavés résonnent encore du pas des soldats, des processions et des foires. Au Moyen Âge, la ville se dote de remparts, d’un château, d’un réseau de caves profondes où l’on stockait grains et houblon : des galeries voûtées, aujourd’hui en partie réinvesties, où l’humidité conserve la mémoire des siècles.
La Grand-Place, cœur battant, déroule ses façades XVIe et XVIIe, témoignant de la prospérité et du métissage des influences. Les maisons à pignons, parfois penchées par le temps, abritent cafés feutrés et boutiques de caractère. La lumière, diffuse ou tranchante selon l’heure, révèle la brique mordorée, la pierre blonde, les ferronneries ouvragées. Quelques pas suffisent pour quitter l’animation : ruelles étroites, escaliers discrets, silence soudain. On sent, au détour d’un porche, le parfum tiède de la terre, l’odeur lointaine du cuir ou du bois travaillé : indices d’une vie souterraine et créative.
Pour saisir l’esprit de Cassel, il faut accepter de ralentir. Prendre le temps de lever les yeux vers les girouettes, de pousser une porte parfois à demi-ouverte. C’est souvent là, à l’abri des regards pressés, que se dévoilent les trésors : un atelier dans une cave voûtée, une cour intérieure où sèche une toile, un artisan à l’œuvre, concentré, dont les mains racontent autant que les pierres.
Sous les voûtes, ateliers d’exception et gestes rares
“Travailler sous les voûtes séculaires, c’est s’engager à la fois comme passeur et inventeur d’un patrimoine vivant.” Cette phrase, recueillie par le Musée de Flandre auprès d’un artisan local, résume l’état d’esprit qui anime les créateurs casselois. Dans ces caves, ces anciens celliers, ces échoppes à l’ombre des pignons, une dizaine d’ateliers perpétuent des métiers rares : cuir, vitrail, ferronnerie, reliure, céramique. Ici, la tradition inspire sans emprisonner ; chaque objet est le fruit d’un dialogue entre héritage et innovation.
Il serait dommage de réduire l’artisanat de Cassel à une simple survivance folklorique. Au contraire, ces ateliers sont des laboratoires : on y restaure un missel du XVIIIe, on y façonne un vitrail contemporain, on y cisèle une rambarde inspirée des modèles anciens. Le visiteur, curieux et respectueux, peut s’aventurer à la rencontre de ces métiers lors de portes ouvertes ou sur rendez-vous. Quelques conseils :
- Repérer les plaques “Artisan d’art” apposées sur certaines façades, gage d’un savoir-faire reconnu.
- Privilégier la visite hors saison (printemps ou automne), quand les artisans prennent plus volontiers le temps d’échanger.
- Oser franchir les seuils : une cave voûtée peut abriter un atelier de reliure, où l’on vous montrera les gestes précis du pliage, du cousage, de la dorure.
- Participer à un atelier d’initiation : certains créateurs proposent des stages courts (modelage, émaillage, création de carnets), ouverts aux adultes comme aux familles.
La lumière tamisée, le silence épais, les senteurs de colle ou de métal chaud créent une atmosphère à part. On palpe la douceur du cuir, on observe la danse lente du pinceau sur le verre, on devine le poids du temps dans chaque outil patiné. C’est tout un monde qui s’offre, loin des vitrines trop lisses des grandes villes.
Secrets souterrains : galeries, caves et traditions cachées
Peu de visiteurs le savent : sous la Grand-Place et plusieurs maisons du centre, un réseau de galeries voûtées subsiste. Construites dès le XVIIe siècle pour abriter les réserves de grains et de houblon, elles ont longtemps protégé le village des famines et des pillages. Certaines sont aujourd’hui réhabilitées, transformées en ateliers, salons de lecture, espaces d’exposition temporaire. L’ambiance y est unique : fraîcheur constante, écho léger des pas, murs suintant l’histoire. On imagine les allées et venues d’antan, le frottement des sacs, le souffle court des porteurs.
Pour découvrir ces souterrains, il existe plusieurs options :
- Visites guidées thématiques organisées ponctuellement par l’office du tourisme ou lors des Journées du Patrimoine.
- Rencontres avec les artisans installés dans ces caves : certains ouvrent leurs portes lors d’événements, proposant démonstrations et échanges autour de leurs techniques.
- Expositions temporaires organisées dans d’anciennes réserves, où l’on découvre à la fois l’histoire du lieu et la vitalité de la création locale.
Mais Cassel ne se résume pas à ses pierres. Les traditions y sont vivaces, parfois secrètes. Ainsi, la confection des géants processionnels, Reuze-Papa et Reuze-Maman, relève d’un savoir-faire collectif transmis discrètement. Ces figures monumentales, conservées à l’abri des regards, sortent lors de la Pentecôte : le temps d’une fête, la ville vibre au rythme des tambours, des pas des porteurs, des rires des enfants. On assiste alors à un spectacle mêlant légende, art populaire et prouesses artisanales. Un conseil : pour vivre ces moments, il faut réserver sa place ou arriver tôt, tant l’affluence est grande.
Musée de Flandre : dialogue entre passé et création
Impossible d’évoquer Cassel sans mentionner le Musée de Flandre, installé dans l’Hôtel de la Noble Cour. Ce bâtiment du XVIe siècle, classé, est un chef-d’œuvre en soi : façade à pignons, vitraux colorés, escaliers de pierre aux marches usées. Mais c’est à l’intérieur que s’opère la magie : les salles mettent en scène l’art flamand, du Moyen Âge à nos jours, en dialogue constant avec les savoir-faire locaux.
Le musée joue un rôle de passeur : il expose peintures, objets, textiles, mais valorise aussi l’artisanat vivant, par des expositions temporaires, des ateliers, des conférences. Le visiteur peut y découvrir :
- Des expositions sur les métiers d’art, mettant en avant artisans locaux et créations contemporaines inspirées de la tradition flamande.
- Des ateliers pédagogiques pour petits et grands, où l’on s’initie à la polychromie, à la sculpture ou à la reliure.
- Des rencontres avec artistes et artisans lors de vernissages ou de visites commentées.
C’est aussi un lieu idéal pour comprendre la singularité de Cassel : ici, la culture flamande ne se limite pas au folklore, elle irrigue le présent, inspire les créateurs. Comme le disait Pierre Mauroy, “la tradition n’emprisonne jamais ; elle inspire les créateurs d’aujourd’hui”. Ce positionnement mérite d’être souligné : à Cassel, l’art de vivre se construit à partir de la mémoire, mais ne s’y enferme pas.
Conseils pratiques pour une immersion raffinée
Pour profiter pleinement de Cassel et de ses trésors cachés, quelques recommandations s’imposent. La ville se découvre idéalement à pied : les dénivelés sont parfois raides, mais chaque détour réserve une surprise. La météo, souvent changeante, invite à prévoir un vêtement de pluie léger et des chaussures confortables – les pavés peuvent être glissants.
Les amateurs d’artisanat d’art gagneront à préparer leur visite : certains ateliers n’ouvrent que sur rendez-vous ou lors de journées spéciales. Une prise de contact préalable par téléphone ou via le site de l’office du tourisme facilite les rencontres. Il est aussi possible d’organiser un parcours thématique :
- Départ de la Grand-Place, observation des façades et repérage des ateliers signalés.
- Halte au Musée de Flandre pour s’immerger dans l’histoire et l’art de la région.
- Visite d’une cave-atelier pour découvrir, selon disponibilité, la reliure, la céramique ou le vitrail.
- Dégustation d’une bière locale dans un estaminet, accompagnée de spécialités flamandes (potjevleesch, gaufres).
- Montée au moulin, point de vue panoramique sur la plaine, au coucher du soleil : spectacle garanti, par tous les temps.
Au-delà des incontournables, il ne faut pas hésiter à s’écarter des sentiers balisés. Une porte entrouverte, un parfum de pain chaud, un éclat de voix dans un atelier : Cassel se donne à qui sait écouter et regarder. La qualité des échanges, souvent marquée par la simplicité et la fierté des artisans, laisse une impression durable. On repart avec un objet, un souvenir, parfois même un geste appris : plier une feuille, polir une céramique, saluer un voisin en flamand.
Une identité flamande, vivante et partagée
Ce qui frappe, à Cassel, c’est la cohérence d’un art de vivre ancré mais jamais figé. L’âme flamande, perceptible dans l’architecture, la gastronomie, la convivialité, irrigue aussi la création contemporaine. Les artisans, les habitants, les institutions veillent à la transmission sans céder à la muséification : on restaure, on réinvente, on partage. La lumière rare, le vent, la lenteur : tout invite à une approche sensible, loin des parcours touristiques formatés.
En parcourant les voûtes, en respirant l’odeur du cuir, en effleurant la surface polie d’une céramique, on mesure la force d’un patrimoine qui se vit au présent. Cassel n’est pas un décor : c’est un laboratoire d’émotions, d’idées, de rencontres vraies. Il y a dans cette discrétion une forme d’élégance – celle d’un village qui, loin de s’endormir sur ses lauriers, cultive la surprise, la transmission, la créativité.
Victor Hugo écrivait : “Le mont Cassel porte au loin ses regards comme un roi sur ses terres, et sur cet éperon de pierre, chaque pierre semble veiller un secret.” Aujourd’hui encore, les secrets de Cassel se dévoilent à qui sait prendre le temps, franchir une porte, écouter le silence sous la voûte, échanger avec ceux qui font vivre cette mémoire. En repartant, on emporte quelque chose de singulier : le sentiment d’avoir touché, fugacement, à une vérité rare. Une lumière, un geste, un parfum – la promesse, aussi, d’y revenir.