Sur la côte septentrionale de la France, quand la brume s’effiloche au-dessus des dunes et que la lumière du soir s’étire sur les galets, une silhouette familière s’impose à l’horizon : le phare. Vigie de pierre ou de béton, il veille, impassible, sur l’un des littoraux les plus fréquentés d’Europe. Dans la région des Hauts-de-France, ces sentinelles marines ne se contentent pas de guider les navires : elles racontent, à leur manière, une histoire de courage, d’innovation et de beauté un peu sauvage.
Explorer leurs rivages, c’est accepter de marcher à contre-temps, de remonter les couches de mémoire collective, d’éprouver une fascination très actuelle pour l’alliance du patrimoine et d’une nature indomptée. On découvre alors qu’au-delà de leur rôle technique, les phares sont des invitations à la contemplation et à l’aventure douce. Ici, chaque escalier en colimaçon, chaque éclat nocturne, chaque odeur de varech et de peinture usée deviennent des repères pour l’âme, aussi bien que pour les navigateurs. C’est à cette promenade lumineuse, sur les traces des phares emblématiques et secrets des Hauts-de-France, que nous vous convions.
Une tradition millénaire sur la côte la plus fréquentée d’Europe
Le littoral des Hauts-de-France, de la frontière belge à la baie d’Authie, s’est bâti autour d’une relation intense à la mer. Dès l’Antiquité, la nécessité de sécuriser un des passages maritimes les plus complexes du continent s’impose. C’est ainsi qu’en 39 de notre ère, l’empereur Caligula fait ériger la célèbre Tour d’Ordre à Boulogne-sur-Mer, considérée comme le premier phare de France. L’édifice, dont la légende dit qu’il servit aussi de théâtre à une mascarade militaire, témoigne déjà de l’importance symbolique et stratégique de ces constructions (source).
Au fil des siècles, la côte nord voit se dresser une constellation de phares, dont certains, comme ceux de Dunkerque, Calais ou la Canche au Touquet-Paris-Plage, sont aujourd’hui classés Monuments historiques. Leur architecture alterne entre la sobre puissance de la pierre taillée et les audaces plus récentes du béton et de la brique, mais tous partagent une même vocation : protéger, signaler, rassurer. L’influence de Napoléon au XIXe siècle marque un tournant, avec la systématisation de la signalisation côtière, adaptée à la densité du trafic maritime entre Manche et Mer du Nord.
La résonance culturelle de ces phares demeure intacte. Ils sont, selon la belle formule de Gustave Flaubert, « la mémoire de la lutte silencieuse de l’homme contre l’infinie mer ». Aujourd’hui encore, alors que satellites et balises électroniques ont transformé la navigation, la présence du phare reste irremplaçable : repère visuel, mais aussi témoin d’une identité littorale fière de son histoire et de ses marins. On aurait tort de réduire ces monuments à de simples reliques décoratives ; ils incarnent une résistance élégante à l’effacement, une mémoire de pierre vivante.
Dunkerque, Calais, Canche : phares emblématiques et visites d’exception
Certains phares du Nord imposent leur stature, autant par leur histoire que par la qualité des expériences de visite proposées. À Dunkerque, le grand phare blanc et rouge domine la ville et le port. Épargné par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, il fut un point de ralliement lors de l’Opération Dynamo, cristallisant le courage et la solidarité des marins et civils. Aujourd’hui, une ascension de ses 276 marches offre une vue spectaculaire sur les bassins, le ballet des cargos et, par temps clair, la côte belge. La sensation, tout en haut, d’être suspendu entre ciel, mer et vent, n’a pas d’équivalent. Le clapotis régulier des vagues sur les digues, le parfum iodé qui monte des jetées, la vibration sourde du vent contre la lanterne : tout invite à l’immersion sensorielle.
À Calais, le phare immaculé se visite presque toute l’année. En gravissant ses escaliers étroits, on croise des fragments d’histoire : anciennes lentilles de Fresnel exposées, photographies de gardiens, outils patinés. À l’arrivée, le panorama balaie la ville, le port et, parfois, la ligne ténue des falaises anglaises. Pratique : la visite guidée permet de mieux saisir les enjeux de la signalisation maritime et la complexité du métier de gardien, métier rare dont les anecdotes émaillent la visite.
Le phare de la Canche, au Touquet-Paris-Plage, est un autre incontournable. Sa position, légèrement en retrait de la plage, en fait un point d’observation privilégié sur les forêts de pins, l’embouchure de la Canche et les villas balnéaires. Ici, l’ambiance se fait plus feutrée, presque méditative, quand le vent bruisse dans la pinède et que la lumière danse sur les tuiles vernissées. La montée, ponctuée de paliers, est accessible à la plupart des visiteurs, et se conclut par un moment suspendu au sommet, où la perspective s’étire jusqu’à la mer d’Opale.
Pour préparer la visite de ces phares classés, il est conseillé de :
- Consulter les horaires d’ouverture, variables selon les saisons et parfois réduits hors été
- Privilégier un départ matinal pour éviter l’affluence, en particulier à Dunkerque et Calais
- S’équiper de chaussures confortables pour les escaliers souvent raides
- Prévoir un coupe-vent ou un pull pour le sommet, exposé au vent marin
Phares secrets : escapades hors des sentiers battus
Loin des itinéraires balisés, le littoral des Hauts-de-France recèle d’autres phares, plus confidentiels, dont la découverte ravira les amateurs de patrimoine discret et d’expériences singulières. Certains ne se visitent pas, mais leur approche à pied ou à vélo réserve de beaux moments.
Le phare d’Ault, par exemple, se devine au détour d’un chemin côtier, entre les hautes falaises crayeuses et les champs de blé. Ici, la lumière se fait diffuse, le silence seulement troublé par le cri des goélands et le ressac lointain. On le rejoint par une balade facile, au rythme des herbages salés et des senteurs de terre humide après la pluie.
Plus au nord, certains petits feux de port, discrets mais toujours actifs, ponctuent les extrémités de jetées à Gravelines ou à Boulogne-sur-Mer. Leur intérêt n’est pas seulement technique : ils offrent un point de vue original sur les allées et venues des bateaux, et leur proximité permet d’observer de près la patine du métal, la texture granuleuse de la peinture marine, le jeu des ombres sur les marches.
Envie d’un itinéraire à la journée ? La Vélomaritime, qui longe la côte, permet d’enchaîner plusieurs phares et petits ports en douceur, en alternant passages sur la digue, traversées de villages et pauses gourmandes dans une estaminet local. Il suffit d’un panier garni (fruits de mer, fromage de la région, pain frais) pour transformer une halte devant un phare en pique-nique mémorable.
En pratique, pour découvrir ces phares hors-circuits :
- Repérer les accès piétons ou cyclables, souvent mieux balisés que les parkings
- Prévoir une lampe torche pour les balades en fin de journée, certains sentiers restant ombragés
- Respecter la tranquillité des lieux, parfois situés près de zones protégées (oiseaux marins, dunes sensibles)
Vivre les phares : expériences immersives et patrimoine vivant
Au-delà de la contemplation, les phares des Hauts-de-France offrent des occasions uniques de s’immerger dans la culture maritime locale. Plusieurs sites organisent, en saison, des expositions temporaires, des ateliers pour enfants ou des visites nocturnes. À la tombée du jour, quand la lumière du phare perce la brume et que l’odeur de l’algue se mêle à celle du goudron chauffé, l’atmosphère devient presque irréelle.
Certains événements mettent à l’honneur le travail des gardiens, l’ingéniosité des ingénieurs du XIXe siècle, ou la transmission des gestes anciens. On peut ainsi observer de près les mécanismes d’optique et les célèbres lentilles de Fresnel, véritables chefs-d’œuvre de précision. À Calais, un atelier de fabrication de maquettes de phares attire petits et grands, tandis qu’à Dunkerque, des projections de films d’archives font revivre le quotidien des sentinelles d’autrefois.
Pour renforcer cette expérience, on peut :
- Se renseigner auprès des offices de tourisme locaux sur les animations saisonnières
- Participer à une visite guidée à thème (« vie des gardiens », « phares et tempêtes »)
- Prolonger la découverte par une balade en mer (sorties depuis Boulogne ou Calais), pour appréhender le rôle du phare depuis l’eau
- Terminer la journée dans un café ou une brasserie locale, où le poisson fumé et la bière artisanale prolongent l’esprit maritime
Dans tous les cas, la visite d’un phare n’est jamais une expérience figée : elle évolue selon la lumière, la saison, la météo. Il y a, dans le simple geste d’appuyer la main sur une rampe froide, de sentir la rugosité de la pierre, ou de tourner le regard vers le large, une manière discrète de renouer avec un rythme plus lent, plus attentif. On comprend alors pourquoi, selon Paul Valéry, « les phares sont comme des poèmes debout dans la mer ».
Le phare, repère d’avenir et enjeux de préservation
À l’heure où la technologie bouleverse la navigation, la question de l’avenir des phares se pose avec acuité. Pourtant, leur rôle reste essentiel dans une zone où les conditions météo peuvent changer en un instant, où la densité du trafic exige une signalisation fiable et visible depuis des milles à la ronde. On aurait tort de croire que la modernité rend ces ouvrages obsolètes : ils participent au maillage de sécurité, mais aussi à l’identité territoriale et au tourisme raisonné.
La préservation de ces monuments implique des choix exigeants : restaurations régulières, adaptation aux normes de protection du littoral, valorisation auprès du public. Plusieurs associations locales œuvrent à sauvegarder ce patrimoine, organisant chantiers, collectes de témoignages, publications grand public. Les défis sont nombreux, entre l’érosion accélérée par le climat, les pressions urbanistiques et la nécessité de rendre ces sites accessibles sans les dénaturer.
Pour soutenir cette dynamique, chacun peut agir :
- Privilégier les visites encadrées, qui financent directement la préservation
- Respecter les zones sensibles lors des balades, en évitant de piétiner les dunes ou de prélever des fragments de pierre
- Valoriser les artisans locaux qui perpétuent la tradition de restauration (maçons, ferronniers, peintres en bâtiment spécialisés)
- Partager ses découvertes (photos, récits) pour faire vivre la mémoire des lieux, tout en restant attentif à ne pas divulguer d’informations mettant en péril la tranquillité des sites moins connus
Enfin, les phares suscitent un imaginaire renouvelé : ils inspirent artistes, écrivains, photographes, mais aussi amateurs de slow tourisme en quête de paysages bruts et d’horizons ouverts. Traverser les Hauts-de-France par la route des phares, c’est opter pour une forme de voyage à la fois contemplatif et engagé.
Au fil des lumières : conseils pour une escapade réussie
Pour qui souhaite partir à la rencontre de ces sentinelles marines, quelques suggestions permettent de transformer une simple visite en expérience marquante :
- Préparer un itinéraire « à sa mesure » : associer phares majeurs et haltes dans les petits ports, en alternant visites et pauses nature
- Privilégier les moments de lumière rasante (matin, fin d’après-midi), qui magnifient la silhouette des phares et offrent les plus belles photos
- Ne pas négliger l’écoute : le vent, les cris d’oiseaux, le grondement sourd de la mer composent une bande-son unique, à apprécier lors d’une halte silencieuse
- Emporter un carnet ou un appareil photo pour fixer impressions et détails, sans chercher la performance, mais pour garder trace de ce dialogue entre pierre, mer et ciel
- Savourer l’art de vivre local : goûter une soupe de poisson dans une petite brasserie, s’attarder sur le marché du Touquet ou de Boulogne, où l’on retrouve poissons fumés, coquillages et douceurs sucrées à emporter pour un pique-nique
- Adopter un rythme lent, en intégrant une marche sur la plage ou une pause sur la digue, le temps de laisser l’esprit vagabonder
Chacun trouvera, au fil de ces phares et de ces rivages, sa façon singulière d’habiter la lumière du Nord. Qu’il s’agisse d’une ascension sportive, d’une découverte patrimoniale ou d’une simple halte face au large, l’essentiel demeure dans la capacité à ralentir, à ouvrir les yeux, à se laisser toucher par la beauté d’un patrimoine aussi fragile qu’essentiel. Les phares des Hauts-de-France ne se livrent jamais tout à fait au premier regard : ils invitent, patiemment, à renouer avec l’esprit des voyages qui laissent une empreinte durable. Un phare n’est jamais seulement une tour : c’est un livre ouvert, une promesse de lumière dans la nuit — et un fil à suivre, pour qui veut explorer la France autrement.